«Le corps de la femme ne doit plus être un champ de bataille»

Militante humanitaire burundaise visée par un mandat d’arrêt dans son pays, Marguerite Barankitse vit un exil fertil qui, grâce à son influence mondiale, lui permet de sauver des milliers de femmes et d’enfants

Celle qui coche toutes les cases pour être une future prix Nobel de la paix garde un souvenir amusé d’un trophée reçu en  des mains de George Clooney. 
N’arbore pas son insigne de chevalier de la Légion d’honneur, mais le pin’s de Gynécologie sans frontières (GSF).
Ce dernier, où s’illustre une femme les bras levés, symbolise à merveille le proverbe africain « Si les femmes baissaient les bras, le monde s’écroulerait ». 
Un clin d’oeil également au Dr Boyer, secrétaire général de GSF, qu’elle est venue saluer ces jours-ci à Draguignan, ville où elle a pris la parole dès  pour relayer son combat pour la dignité des femmes et des enfants du Burundi. Combat qui l’anime depuis  ans et a permis, à travers son ONG, de sortir de l’enfer des guerres civiles plus de   orphelins, petites filles violées, garçonnets castrés ou enrôlés comme bras armés… De sa verve bienveillante, elle défend leur cause, même si au fil du discours sa tunique humanitaire, devenue trop étroite, se transforme en « tenue de combat » politique contre le président burundais, qui l’a contrainte à l’exil en la placardant « ennemie de l’État ».
Indésirable chez vous, où résidez-vous aujourd’hui ?
Je suis citoyenne du monde parmi les miens. Je voyage grâce à des documents luxembourgeois. Lorsque le président Nkurunziza m’a déclaré « criminelle », on m’a accueillie en  dans un palais grand-ducal au Luxembourg. Mais après deux jours avec mes proches, même si nous étions comme intégrés à la famille grand-ducale, j’ai osé dire que ce n’était pas notre place. 
Le  juillet , je suis donc partie pour le Rwanda. La grande-duchesse, qui parle de « sainte colère » à mon sujet, n’a jamais cessé de m’aider dans mes projets depuis que nous nous sommes rencontrées en  et sa prise de conscience et visitant les enfants entassés dans les prisons du Burundi. Grâce à elle,  en sont sortis, et deux grands centres ont été construits pour eux !
Vous arrivez du tout premier colloque « Stand Speak Rise Up » au Luxembourg. Quelles avancées ?
L’innovation, c’est de dire que ça ne suffit pas d’aider toutes ces femmes victimes de viols. Il faut qu’il y ait un suivi. Sanitaire, psychologique, judiciaire, matériel, etc. Il faut appréhender ces cas de façon holistique. Dans leur ensemble ! Vous savez, à force de voir toutes ces misères, on se blinde. Mais là, c’est la première fois que je pleure à la fin d’un colloque…
En fait, c’étaient des larmes de joie en voyant une si haute personnalité [Son Altesse royale la Grande-Duchesse de Luxembourg, qui organisait ce rendez-vous, Ndlr] danser avec  survivantes de violences sexuelles en provenance du monde entier ! Pour une fois, ce sont elles qui étaient mises à l’honneur, avaient la parole devant la procureure de la Cour pénale internationale, Mme Macron, etc. « L’homme qui répare les femmes » et prix Nobel de la paix , le Dr Denis Mukwege, était présent. Quels liens entretenez-vous ? L’Irakienne Nadia Murad qui partageait son Nobel était également présente ainsi que le Nobel , le professeur Muhammad Yunus (fondateur de la Grameen Bank). Denis Mukwege, c’est mon voisin [le Congo est tout proche du Burundi, Ndlr]. Un grand frère aussi ! Nous avons des prix, mais surtout un combat en commun. S’il y a tous ces viols, c’est qu’il y a une mauvaise gouvernance dans nos deux pays. Le corps sacré de la femme est un champ de bataille. C’est devenu une arme de guerre ! Et nous, ne faisons que réparer les pots cassés de tous ces politiciens indignes…
Comment peser sur la situation au Burundi ?
Le Burundi est le pays le plus corrompu de la planète. Je suis fâchée ! Le premier pays qui peut faire pression, c’est la Tanzanie. Si elle décrétait un embargo économique en représailles des tueries, le président Nkurunziza céderait tout de suite ! Idem avec l’Union européenne, qui verse des millions chaque mois pour la mission de maintien de la paix en Somalie, alors qu’avant de payer les   soldats burundais, cet argent sert à entretenir la milice du président pour tuer sa population… C’est ça, le terrorisme de l’État ! Mais il reste appuyé par certaines puissances qui convoitent les terres agricoles, le nickel, et son emplacement stratégique sur le plan géopolitique…
‘‘ Au Burundi, il y a un terrorisme d’État”
‘‘ Clooney ? Je ne le connaissais même pas !”
L’ONU vient de fermer son bureau des droits de l’homme au Burundi. Un autre mauvais signal…
Cela s’ajoute aux bureaux des médias indépendants et étrangers. Je ne comprends pas pourquoi les ambassadeurs restent… Pour moi, l’arme la plus puissante pour contrer tout cela, c’est l’éducation. C’est ma priorité, et j’invite les gens à financer des scolarisations (), gages de dignité et de valeurs qui nourriront nos futurs dirigeants, car depuis l’indépendance, c’est le chaos. D’ailleurs, je lance un cri de détresse comme une maman, car si d’ici juin, je ne réunis pas   €,  étudiants vont devoir arrêter les cours. Mais j’ai une confiance triomphante en la providence !
Parmi vos multiples distinctions, laquelle est la plus précieuse ?
[Long silence] Je dois vous avouer que la seule qui me ferait du bien, c’est de ne plus voir d’enfants dans les prisons, en finir avec la malnutrition, les maladies, les violences, etc., au Burundi.
C’est pourquoi celui qui m’a le plus touchée est le Prix mondial des enfants remis par la reine Silvia de Suède en . Moi-même je n’ai pas eu d’enfants biologiques, mais je leur dédie ma vie depuis l’âge de  ans.
Et celle remise par George Clooney ?
La symbolique du prix Aurora pour l’éveil de l’humanité m’a énormément touchée, mais lui, je ne le connaissais pas ! [rire] Mes enfants étaient tout excités :
« Waouh, c’est le plus bel homme ! »
J’ai répliqué : « Oui, mais en face, il y a la plus belle femme aussi ! » [éclat de rire] Plus sérieusement ce prix, qui m’a rétablie dans ma dignité, est celui de tous ceux qui sont en exil.
                                                                                                          Par NICE-MATIN