Trop tard, la justice du Burundi n’a plus le droit de juger les assassins de NDADAYE

Une juriste burundaise très expérimentée pense que la justice burundaise a perdu la main dans le dossier de l’assassinat du président Melchior NDADAYE.
Selon elle, la justice burundaise n’est plus compétente pour poursuivre de nouveaux présumés auteurs de l’assassinat du héros national de la démocratie plus de vingt ans après le crime. 
Il y a pourtant plus de trois mois, la justice burundaise a arrêté et détenu quatre officiers retraités de l’ancienne armée.
 
Le procureur général de la République considère les quatre retraités comme
des auteurs de l’assassinat du premier président démocratiquement élu en 1993. 
‘’Même si des poursuites ont été engagées contre certaines personnes impliquées dans ce crime, il s’est avéré que c’étaient des exécutants.’’, a déclaré Sylvestre NYANDWI après l’arrestation des quatre anciens militaires en novembre dernier. 
Selon le procureur général de la République, les quatre officiers retraités sont des ‘’auteurs de l’assassinat de Melchior NDADAYE même si tout deviendra clair au bout des enquêtes’’.
 
Et pourtant, une juriste burundaise très expérimentée pense que la notion de prescription de l’action publique a été ignorée dans cette affaire. 
Selon elle, c’est le code pénal de 1981 qui doit être utilisé dans le cas de l’assassinat de Melchior NDADAYE puisque c’est ce code pénal, et pas celui de 2009 ou celui de 2017, qui était en vigueur à l’époque.
 
Pourquoi le code pénal de 1981?
 
La juriste explique que, par exemple, le code pénal de 2017 ne peut pas gérer les crimes commis en 1993. 
Elle se base sur l’article 4 alinéa 1 du code pénal de 2017 qui souligne que les infractions ne peuvent pas être punies des peines qui n’étaient pas prévues par la loi quand elles ont été commises.
 
L’exception sur l’alinéa 2 c’est ce que l’on appelle la rétroactivité in mitius, selon la juriste qui ajoute qu’on l’appelle également la rétroactivité en faveur du prévenu parce qu’elle favorise la peine la moins sévère.
L’article 5 du même code parle également des lois qui peuvent être appliquées immédiatement même si les infractions ont été commises avant leur entrée en vigueur. 
C’est notamment les lois relatives à la prescription de l’action publique et des peines si elles prévoient des délais plus courts. 
Donc, à cette étape, il n’y a rien à chercher dans le code pénal de 2017, indique la juriste. 
Il faut donc se concentrer sur le code pénal de 1981, ajoute-t-elle.
 
Que prévoit le code pénal de 1981 ?
 
Ce code signale que le délai prévu pour poursuivre les présumés criminels a été dépassé. 
Selon la juriste, même si l’on considérait l’assassinat de Melchior NDADAYE était punissable de la peine la plus lourde prévue par le code, le délai de poursuite expire au bout de 20 ans.
Or, lorsque les quatre officiers retraités ont été arrêtés le 24 novembre 2018, plus de 25 ans s’étaient déjà écoulés.
 
Le jour de l’arrestation des quatre anciens militaires de l’armée burundaise, le procureur général de la République a précisé que le ministère public venait de découvrir qu’ils avaient, eux aussi, joué un rôle très important dans l’assassinat du président de la République du Burundi. 
‘’Comme le ministère public a, par après, eu connaissance des personnes qui seraient impliquées dans ce coup et qui n’ont pas été poursuivies, et en vue de combattre l’impunité dans notre pays, nous avons décidé d’ouvrir un dossier à leur charge et quatre d’entre eux ont été arrêtés ce matin du 24 novembre 2018 pour raison d’enquête tandis que d’autres sont recherchés.’’, a déclaré le Procureur Général de la République Sylvestre NYANDWI.
 
Ce jour-là, le Général Célestin NDAYISABA, le Colonel Gabriel GUNUNGU, le Colonel Anicet NAHIGOMBEYE et le Colonel Laurent NIYONKURU ont été arrêtés et détenus dans différentes prisons du pays. 
Les mandats d’arrêt internationaux contre 17 anciens hauts responsables militaires et civils dont l’ex-président de la République Pierre BUYOYA ont été émis une semaine plus tard. 
Le pouvoir de Pierre NKURUNZIZA venait de couper le cordon avec ce haut cadre de l’Union Africaine qu’il avait pourtant soutenu quatre ans plus tôt lors de sa candidature au poste de secrétaire général de la Francophonie, avait commenté un analyste burundais.
 
Selon la juriste, la justice burundaise n’a pas le droit de poursuivre de nouveaux suspects dans l’affaire de l’assassinat de Melchior NDADAYE. 
Pour elle donc, la détention des 4 retraités de l’armée est arbitraire et illégale.  
 
A l’étape actuelle, souligne la juriste, tous les quatre officiers en retraite devraient être convoqués dans la chambre de conseil au cas où la justice burundaise ne l’aurait pas encore fait parce les règles de base de la détention préventive envisagent seulement 15 jours pour contrôler la détention. 
Selon elle, la justice devrait consulter l’article 155 du code de la procédure pénale de 2018 surtout dans ses alinéas 3 et 4.

       
Ainsi, poursuit la juriste, la justice devrait ensuite classer sans suite le dossier conformément à l’article 104 du même code de procédure pénale au point 6 qui parle de l’extinction de l’action publique.
 
Le crime commis ne serait-il pas imprescriptible ?
Non, réplique la juriste qui explique que le code pénal de 1981 ne prévoit pas d’imprescriptibilité de l’action publique et que l’imprescriptibilité prévue par le code pénal de 2017 n’est pas rétroactive.
 
En conclusion, souligne la juriste, les quatre anciens militaires, suspectés d’être des auteurs de l’assassinat du président Melchior NDADAYE il y a plus de 25 ans, devraient être libérés parce que la justice burundaise n’est pas compétente pour poursuivre qui que ce soit plus de vingt ans après le crime.
 
Il faut préciser que les anciens hauts responsables militaires et civils concernés par les mandats internationaux lancés par la justice burundaise sont à l’extérieur du pays, certains figurant parmi les plus de quatre cents mille burundais qui ont fui le pays suite à la crise liée au troisième mandat contesté du président Pierre NKURUNZIZA.