Nous sommes le lundi, 7 février 2022. Vers 23 heures, une vingtaine d’hommes d’abord pour sécuriser le passage, ensuite une autre vingtaine. Tous viennent de traverser la rivière Rusizi après les derniers préparatifs au camp militaire de Cibitoke selon nos sources. Le second groupe est composé de soldats très loyaux envers le CNDD-FDD. Prêts à se sacrifier pour le parti présidentiel, expliquent nos sources. Ils font partie de ce que certains militaires appellent « force spéciale ». « Contrairement aux autres soldats qui viennent ici sans savoir exactement ce qui les attend, les membres de la force spéciale, eux, sont au courant du moindre détail de leur mission », nous confie un militaire du camp de Cibitoke. Selon lui, la plupart des militaires sont informés qu’ils vont franchir le sol congolais après avoir reçu l’ordre de détacher les petits drapeaux burundais de leurs tenues de combats. « Il y en a d’autres qui sont déployés en RDC avec des tenues d’exercice ».
« Certains membres de la force spéciale sont sélectionnés au niveau des différents camps militaires du pays. Certains d’entre eux étaient au Congo, alors très jeunes, dans les rangs des FDD encore au maquis ».
Le peloton tombe dans une embuscade?
« Nos supérieurs étaient informés de leur traversée nocturne de la Rusizi et nous ont chargés de les empêcher d’avancer », nous confie un combattant du RED-Tabara qui affirme avoir participé à l’opération. « Nous les attendions tout près de la Rusizi et notre mission consistait à viser surtout ces membres de la force spéciale de l’armée burundaise ». Après les combats, ce rebelle affirme que plus de 10 soldats ont perdu la vie côté force spéciale de l’armée burundaise. « Nous les avons surpris alors qu’ils se préparaient pour entamer un long voyage vers les hauts plateaux. Je crois qu’ils ont perdu quinze hommes sur place et nous avons appris que trois autres se sont noyés dans la Rusizi. De notre côté, un ami a été tué par les balles des militaires qui assuraient la couverture de la force spéciale ». Il y a eu des échanges de coups-de-feu avant que nous décidions de nous replier, explique ce rebelle. « Je suis ici depuis une dizaine d’années. Je crois que je maîtrise le terrain mieux que quiconque parmi ces militaires burundais » se vante le rebelle qui nous indique aussi que ces militaires de la force spéciale ont coupé le moteur de leur pirogue au milieu des eaux de la Rusizi pour ne pas faire du bruit. Ils ont ensuite continué à ramer jusque sur les rives, tente-t-il de nous convaincre.
Certains habitants de la plaine de la Rusizi confirment ces combats
« Nous avons entendu une grande explosion pendant la nuit de lundi. Il s’en est suivi plusieurs tirs. Nous avons appris le lendemain qu’il y avait eu des affrontements tout près de la rivière », indique un habitant de la plaine. Un membre de la société civile congolaise affirme avoir vu, lui-même, huit corps des militaires burundais dans la matinée, le lendemain des affrontements. « Les militaires qui gardaient ces corps ont empêché les gens de s’approcher des rives de la Rusizi ce jour-là. C’était mardi ». Selon lui, ce sont les pêcheurs et les agriculteurs de la plaine qui ont aidé les militaires à évacuer ces corps quelques heures plus tard. Notre source au sein du camp militaire de Cibitoke confirme également que les membres de la force spéciale ont péri dans une attaque tout le long de la Rusizi. « Nous avons entendu dire que les militaires qui avaient traversé la Rusizi le lundi soir ont été attaqués en cours de route et que la plupart d’entre eux, surtout les membres de la force spéciale, n’ont pas pu survivre. Nous avons aussi appris que les rebelles se sont enfuis vers les montagnes après l’attaque ». Cette source au sein du camp de Cibitoke indique que certains militaires résistent, d’une certaine manière, à l’ordre de se rendre au Congo. « En janvier, il y a deux soldats qui se sont tiré des balles dans les pieds et ont évité ce champ de bataille du Congo de cette façon. Ils ont expliqué que c’était un accident mais c’est souvent notre façon de refuser d’aller au combat ».
Les militaires et les imbonerakure rentrent au Burundi
Ces combats, qui viennent de durer environ deux mois principalement dans les hauts plateaux du Sud-Kivu entre l’armée burundaise et le mouvement de Résistance pour un Etat de Droit (RED-Tabara), qui revendique des attaques à l’intérieur du pays, sont devenus de plus en plus compliqués pour le gouvernement du Burundi. Le déploiement de milliers d’hommes en République Démocratique du Congo depuis décembre dernier, qui n’a pas donné de résultats escomptés, était l’une des stratégies finales pour tenter d’en finir une fois pour toutes avec ces Burundais qui ont décidé de prendre les armes contre le régime en place. Mais, selon nos sources, certaines informations, fournies au gouvernement burundais pour décider de déployer plus de deux mille hommes sur le territoire congolais, étaient biaisées.
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La récente embuscade visant la force spéciale sur la Rusizi aurait précipité la décision du rapatriement des soldats et des imbonerakure au Burundi. Suite à cette embuscade, certains chefs militaires auraient demandé à l’Etat-major de l’armée de réfléchir encore une fois sur une nouvelle stratégie à adopter pour combattre le mouvement RED-Tabara selon nos sources.
Selon nos sources en République Démocratique du Congo, plus de la moitié des soldats et imbonerakure, déployés depuis le mois de décembre, ont déjà quitté le sol congolais. Ce rapatriement des forces vers le pays d’origine se fait par groupes depuis la semaine dernière selon nos sources.
Le mouvement rebelle RED-Tabara, qui était le principal communicateur depuis le début des combats qui auraient emporté des centaines de vies des Burundais et des Congolais depuis le mois de janvier, a été très silencieux ces derniers jours. Son porte-parole Patrick Nahimana nous a dit qu’il était très occupé pour l’instant mais qu’il s’exprimera dans les prochains jours.
Nous avons également contacté le porte-parole de l’armée burundaise, Colonel Floribert Biyereke. Nous lui avons tout d’abord demandé pourquoi les militaires burundais étaient entrain de quitter le sol congolais. Floribert Biyereke a nié la présence de l’armée burundaise en RDC. « Ils rentrent du Congo? Qui les avait envoyés là-bas? Non, c’est faux. » nous a répondu le porte-parole de la Force de Défense Nationale du Burundi Floribert Biyereke avant de raccrocher. Nous n’avons pas eu l’occasion de lui poser des questions sur la bataille du début de la semaine dernière sur les rives de la Rusizi.