Depuis plusieurs mois, le président de la République du Burundi dit que certains magistrats brandissent la « Haute Trahison » lorsqu’il s’active à mettre de l’ordre dans le secteur de la justice. A part que la juridiction capable de juger ce crime n’a pas été mise en place dans le pays, Evariste Ndayishimiye va jusqu’à dire qu’il est un hors-la-loi. La Haute Cour de Justice est pourtant prévue par la Constitution de cet Etat de l’Afrique centrale. (Le Mandat)
Selon la Constitution en vigueur au Burundi, la Haute Cour de Justice est composée de la Cour Suprême et de la Cour Constitutionnelle réunies. Les deux cours sont là. Mais les règles d’organisation et de fonctionnement de cette Cour capable de juger le président de la République pour haute trahison ainsi que la procédure applicable devant elle sont fixées, selon l’article 242 de la Constitution, par une loi organique. La loi organique en question n’est pas là.
Qui peut initier cette loi organique?
D’abord, le président Evariste Ndayishimiye lui-même pourrait initier un projet de cette loi organique selon un juriste qui estime toutefois que le chef de l’Etat n’en a pas la volonté. « Il n’a pas déclaré ses biens alors que la constitution l’exige. Je ne le vois pas se tracasser pour la mise en place de cette cour capable de le juger. » Selon le juriste, d’autres hautes autorités du pays, y compris le ministre de la justice et le président de la Cour Suprême, pourraient faire l’initiative mais il est évident qu’ils ont besoin de l’aval du président Evariste Ndayishimiye. C’est pourtant Evariste Ndayishimiye qui récite, lors de ses sorties médiatiques, que les magistrats l’ont menacé de l’accuser de « haute trahison » s’il continuait de « s’immiscer dans les affaires de la justice ». L’une de ses dernières déclarations sur le sujet date du 3 novembre dernier lors de sa rencontre avec les responsables religieux. « Les magistrats m’ont dit que je m’étais immiscé dans les affaires de la justice. Heureusement que je suis juriste. Je leur ai sorti la constitution pour qu’ils la lisent. Je leur ai alors demandé de me dire ce que c’est le Magistrat Suprême. Ils ont commencé à dire oh non vous savez il y a la haute trahison. » Evariste Ndayishimiye a poursuivi son discours en jugeant de violation de la loi l’usage de la grâce présidentielle prévue pourtant par la constitution à l’article 114. « Je leur ai alors dit. Savez-vous que le président de la République a même le droit de violer la loi? Je leur ai donné un exemple. Le Président a le droit d’accorder la grâce. Le procès suit son cours normal et l’on décide d’emprisonner toute sa vie un malfaiteur de renom. Et le Président vient et dit je t’accorde la grâce. Est-ce que, dans ce cas, le Président n’a pas violé la loi? Est-ce que vous avez déjà entendu les gens se plaindre? »
Or, selon l’article 117 de la Constitution du Burundi,
Le président de la République n’est pénalement responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison.
Il y a haute trahison lorsqu’en violation de la Constitution ou de la loi, le Président de la République commet délibérément un acte contraire aux intérêts supérieurs de la Nation qui compromet gravement l’unité nationale, la paix sociale, la justice sociale, le développement du pays ou porte gravement atteinte aux droits de l’homme, à l’intégrité du territoire, à l’indépendance et à la souveraineté nationales.
La haute trahison relève de la compétence de la Haute Cour de Justice.
Le Président de la République ne peut être mis en accusation que par l’Assemblée Nationale et le Sénat réunis en Congrès et statuant, à vote secret, à la majorité des deux-tiers des membres.
L’instruction ne peut être conduite que par une équipe d’au moins trois magistrats du Parquet Général de la République présidée par le Procureur Général de la République.
A lire aussi Burundi : Délimitations territoriales aux visées électorales?
Lors de sa dernière sortie médiatique lundi, le président de l’Observatoire de Lutte contre la Corruption et les Malversations Economiques Gabriel Rufyiri a dit que ce n’était pas normal de voir qu’il y avait des gens que personne ne pourrait toucher même s’ils vendaient le pays. Gabriel Rufyiri a indiqué que le gouvernement du Burundi a refusé de mettre en place la haute cour de justice qui, pourtant, est parmi « les institutions qui garantissent les principes de bonne gouvernance et l’indépendance de la magistrature ».
Selon un analyste, la Haute Cour de Justice ne sera jamais mise en place au Burundi tant que le CNDD-FDD sera au pouvoir.