Divulgué en marge du débat sur la situation de la République Démocratique du Congo tenu lundi au Conseil de sécurité, le rapport final des experts des Nations Unies décrit en détails les raisons qui auraient poussé le gouvernement burundais à fermer ses frontières terrestres avec le Rwanda. La collaboration des deux parties avec les groupes armés basés en RDC, principalement le Mouvement du 23 Mars (M23) et le Mouvement de Résistance pour un Etat de Droit (RED-Tabara), figure parmi les causes majeures de la détérioration de ces relations bilatérales selon les experts onusiens. (Le Mandat)
Les experts de l’ONU indiquent que la collaboration entre le gouvernement du Rwanda et le mouvement rebelle RED-Tabara a repris à la fin de l’année 2022 après environ 3 ans d’interruption. Selon ces experts, le Rwanda voulait diluer la force de l’armée burundaise qui appuyait, sur le front du Nord-Kivu, l’armée congolaise dans la guerre contre l’armée rwandaise et le mouvement rebelle M23. Mais, ces experts expliquent que le Rwanda était en contact avec une partie des rebelles de RED-Tabara sans passer par le haut commandement du Mouvement. « Après avoir apporté son soutien à la RED-Tabara en 2015 et 2016, puis en 2018 et 2019, le Rwanda a renouvelé son soutien au groupe armé à la fin 2022. Il a pris contact avec le « général » Gisiga (également connu sous le nom de « Kisiga »), le commandant des opérations de la RED-Tabara, et lui a proposé un soutien militaire en échange de son adhésion au M23 avec ses combattants, en collaboration avec les Twirwaneho. Gisiga a convaincu plusieurs officiers et combattants de RED-Tabara de rejoindre le M23 sans en informer au préalable les commandants de la RED-Tabara, notamment Jean-Claude Bayaga et Alexis Sinduhije. »
Ces experts soulignent toutefois qu’Alexis Sinduhije a nié être l’un des leaders du mouvement RED-Tabara.
« Parallèlement à l’offre de soutien du Rwanda au leader de RED-Tabara Gisiga (Nicolas Niyukuri) en échange de la défection de certains combattants de RED-Tabara pour rejoindre le M23, le Rwanda a encouragé Gisiga à se livrer au Burundi avec certains de ses combattants au début de l’année 2023. Les services de renseignement rwandais ont facilité les négociations avec les services de renseignement burundais à travers plusieurs intermédiaires dont le commandant Maï-Maï Demayi qui était proche de la FDNB, une personne appelée Madame Dorcas Ndausso et l’Envoyé spécial des Nations Unies pour la région des Grands Lacs. Durant les négociations, plus de 200 combattants de RED-Tabara et probablement certains combattants des FNL ont été identifiés pour être démobilisés. Cependant, peu de temps après, l’initiative a échoué. »
Selon les experts des Nations Unies, plusieurs sources ont affirmé que l’initiative était vouée à l’échec car il s’agissait d’une manipulation des services de renseignement rwandais pour détourner le Burundi de son rapprochement avec la République Démocratique du Congo. Ces experts ajoutent que certaines sources ont également attribué l’échec de cette initiative aux tensions entre le Rwanda et le Burundi, tandis que d’autres, dont Alexis Sinduhije, ont expliqué que les dirigeants de RED-Tabara avaient rejeté ces propositions du Rwanda. « Les dirigeants de RED-Tabara ont ainsi arrêté et jugé sommairement Gisiga ainsi qu’une douzaine d’officiers de RED-Tabara, dont le porte-parole de RED-Tabara, Patrick Nahimana. A leur procès, Gisiga et Révérien, l’officier responsable de la logistique au sein de RED-Tabara, ont tous les deux été condamnés à mort et exécutés en mai 2023. »
A lire aussi RED-Tabara : Deux officiers exécutés pour trahison et collaboration avec l’ennemi.
Qui a tué les civils de Gatumba en décembre 2023 ?
Selon les experts des Nations Unies, plusieurs sources, dont une ayant accès aux témoignages oculaires, ont affirmé que, lors de l’attaque du 22 décembre 2023, RED-Tabara avait seulement attaqué la position militaire à l’entrée du village de Vugizo, s’enfuyant peu après, et qu’il s’agissait de l’armée burundaise en collaboration avec les Imbonerakure qui avaient tué les civils. « D’autres sources ont affirmé que les autorités burundaises sont arrivées délibérément près d’une heure plus tard sur les lieux de l’incident pour utiliser cette attaque comme prétexte pour aggraver les tensions avec le Rwanda et justifier leur implication dans les combats contre le M23 et l’armée rwandaise en République Démocratique du Congo. »
« Lors d’une réunion avec le Groupe d’experts de l’ONU, Sinduhije a averti que les attaques de RED-Tabara au Burundi allaient se multiplier à mesure que RED-Tabara avait recruté de nouveaux combattants et recevait un soutien financier supplémentaire de la diaspora. »
Selon ces experts, Alexis Sinduhije a également expliqué que les tensions actuelles entre le Burundi et le Rwanda ont offert à RED-Tabara l’occasion de mener des attaques afin de forcer le Burundi à changer sa stratégie envers le groupe armé.
Selon les experts de l’ONU, après l’échec de défection de Nicolas Niyukuri alias Gisiga, plusieurs sources ont confirmé que la RED-Tabara avait depuis lors revu sa position et qu’elle avait bénéficié du fait que le Rwanda facilitait la logistique, le recrutement, en particulier dans le camp des réfugiés de Mahama et le mouvement des combattants sur son territoire.
Sinduhije a démenti cette information auprès du Groupe d’experts, selon le rapport.
Collaboration avec les deux branches du CNRD-FLN
Selon les experts des Nations Unies, le Burundi a renoué la collaboration avec son allié de longue date, le Conseil national pour le renouveau et la démocratie -Forces de libération nationale (CNRD-FLN), dirigé par Jeva. Plus particulièrement, le CNRD-FLN a facilité les opérations de la FDNB contre la RED-Tabara au Sud-Kivu au début de l’année 2023, ajoutent ces experts. « En outre, plusieurs sources ont dit que le Burundi avait formé les troupes du CNRD-FLN depuis fin 2023, pour lutter contre le M23. » Selon ces experts, le Rwanda accuse le Burundi d’avoir refusé de livrer l’un des principaux officiers du CNRD-FLN, le « colonel » Fabien Mukeshimana alias Kamari, qui, selon le Rwanda, continuait de « jouir de la liberté d’action et de mouvement au Burundi et de vivre à Bujumbura, supervisant les activités du CNRD-FLN et faisant fonction d’agent de liaison ».
A lire aussi RDC : Les FNL et la RED-Tabara sous pression selon les experts de l’ONU
De l’autre côté, plusieurs sources ont dit que la collaboration entre le Rwanda et Hamada, l’ancien commandant militaire du CNRD-FLN, s’était intensifiée tout au long de l’année 2023, notamment face aux contacts croissants entre le Burundi et le CNRD-FLN dirigé par Jeva, selon les experts de l’ONU. « Hamada, qui s’était séparé du groupe principal dirigé par Jeva en 2023, était soupçonné par les chefs du CNRD-FLN de collaborer avec le Rwanda. A la scission, Hamada s’était installé à Hewa Bora, dans le Sud-Kivu, avec un nombre limité de combattants et de matériel, et cohabitait avec le groupe armé d’opposition burundais, les Forces Nationales de Libération, FNL. »
Renforcement des troupes le long des frontières du Rwanda, du Burundi et de la RDC
Selon les experts de l’ONU, suite à la fermeture unilatérale des frontières entre le Burundi et le Rwanda, les deux pays ont intensifié le renforcement de leurs troupes le long de leurs frontières communes et les frontières avec le Sud-Kivu. Dans une lettre adressée au Groupe d’experts, le Rwanda a reconnu que « tout déploiement de la Force de Défense du Rwanda est guidé par la nécessité de contrer les menaces contre l’intégrité territoriale du Rwanda. Suivant le plan et les annonces publiques des présidents de la RDC et du Burundi pour soutenir le changement de régime au Rwanda, le gouvernement du Rwanda a pris des mesures défensives appropriées », selon le rapport.
Les experts indiquent que le déploiement des militaires rwandais aux frontières de la RDC a créé une nervosité parmi les forces de sécurité de la RDC, la population et les groupes armés du Sud-Kivu qui considéraient ces renforts de troupes comme un signe possible d’infiltrations supplémentaires du Rwanda et du M23, au milieu de rumeurs persistantes sur l’ouverture d’un deuxième front dans la région.
« Par exemple, le Rwanda a régulièrement envoyé des renforts de troupes sur l’île de Nkombo, juste au sud de l’île d’Ibindja en RDC, sur le Lac Kivu, près de Bukavu. Cela a déclenché le déploiement de troupes des FARDC dans la zone. »
« En février 2024, les FARDC se sont également déployées conjointement avec la FDNB sur l’île d’Idjwi. De manière plus générale, la FDNB a non seulement renforcé les troupes à la frontière avec la RDC pour empêcher les attaques de RED-Tabara, mais a également intensifié les patrouilles conjointes avec les FARDC aux frontières entre le Burundi et la RDC et dans certaines villes comme Baraka. Cela a parfois conduit à des restrictions de mouvement des populations locales et la suspension des activités agricoles. »
Dans le nord du Burundi, les troupes de la FDNB auraient été mêlées aux Imbonerakure, notamment dans la province de Kirundo, selon ces experts des Nations Unies.
« Le président Paul Kagame a refusé de faire libérer les FNDB capturés par le M23 »
Pour gagner en importance au sein de son propre parti, le CNDD-FDD, le président Evariste Ndayishimiye a tenté un rapprochement avec Kigali peu après son accession à la présidence du Burundi mi-2020 selon les experts des Nations Unies. « L’un de ses objectifs était d’obtenir l’extradition des putschistes présumés de 2015 hébergés par le Rwanda, notamment le général Godefroid Niyombare. » Bien que le Rwanda ait été dans un premier temps favorable à cette demande, il a soudainement changé d’avis au premier trimestre 2023 selon les experts. « Cela a été considéré comme un échec politique et une humiliation pour le président Ndayishimiye. La majorité des militants de son parti, notamment le secrétaire général Révérien Ndikuriyo, a estimé que le président Ndayishimiye avait été déjoué par le Rwanda et a commencé à faire pression sur lui pour qu’il prenne ses distances. »
« Les tensions entre le Burundi et le Rwanda ont atteint leur paroxysme après le refus du président Kagame d’intervenir pour la libération des militaires burundais pris en otage par le M23 en novembre 2023 ainsi qu’après l’attaque de RED-Tabara à Vugizo en décembre 2023. »
Selon les experts des Nations Unies, la fermeture des frontières terrestres avec le Rwanda, décidée unilatéralement par le président Ndayishimiye, a eu un impact important sur les activités économiques, y compris pour les ressortissants de la RDC qui passaient par le Rwanda pour entrer au Burundi à travers la plaine de la Rusizi.