La présence menaçante du Service National de Renseignement et du parti CNDD-FDD, les pots-de-vin exigés par les procureurs ou leur abus de pouvoir ainsi que l’impuissance d’une ministre de la justice sont parmi les causes de la détention prolongée et illégale de certains prisonniers au Burundi selon l’IDHB. L’Initiative pour les Droits Humains au Burundi évoque aussi, parmi les causes de cette défaillance, les punitions à l’égard des juges qui appliquent la loi ainsi que la réticence et l’inefficacité d’une Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme. (Le Mandat)
« Les procureurs bloquent la libération des prisonniers qui ont été acquittés, d’autres qui ont purgé leurs peines ou d’autres dont la libération provisoire a été ordonnée par un tribunal. » Explique la chercheuse Carina Tertsakian dans une interview accordée à l’agence de presse Le Mandat. Selon le rapport de l’IDHB intitulé « Prisonniers oubliés : la justice burundaise ignore la loi », certains procureurs bloquent la libération des prisonniers de leur propre initiative, ou encore à cause de l’ingérence de responsables du gouvernement, du Service National de Renseignement ou du parti CNDD-FDD au pouvoir, pour des motifs politiques ou pour un gain personnel.
La plupart des prisonniers illégalement détenus cités dans le rapport sont des militants des partis CNL, Congrès National pour la Liberté et MSD, Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie. « Les cas que nous avons étudiés sont surtout des cas des prisonniers qui ont été accusés de délits à connotation politique ou liés à la sécurité. » Nous précise Carina Tertsakian.
Pour les prisonniers accusés de collaborer avec les groupes armés, est-ce que les allégations sont fondées ?
Les preuves manquent très souvent selon Carina Tertsakian qui dit ne pas vouloir faire de commentaires ou d’opinions sur des cas individuels ou bien remplacer les décisions de la justice. « Mais ce que je peux dire d’une manière globale c’est que très souvent, dans les cas politiques ou dans les cas des présumés opposants au gouvernement, les accusations de participation aux groupes armés ou d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat sont avancées presque automatiquement pour justifier l’emprisonnement et la condamnation de ces personnes. Mais, quand on regarde de plus près, on voit que souvent les procureurs n’ont même pas avancé de preuves crédibles. Ce qui explique d’ailleurs pourquoi dans certains de ces cas, les tribunaux acquittent ces personnes par manque de preuve mais pourtant elles restent en prison. »
Une personne acquittée a récemment trouvé la mort en détention
Il s’agit de Mévain Shurweryimana qui est décédé en août dernier alors qu’il était déjà acquitté depuis quelques jours par le tribunal de grande instance de Gitega. En évoquant ce cas dans son rapport, l’IDHB parle d’une affaire choquante « qui illustre les abus de pouvoir de certains procureurs ». L’Initiative pour les Droits Humains au Burundi indique qu’après la mort de Shurweryimana, la procureure près la cour d’appel de Gitega, Félicité Nishemezwe, qui a refusé de signer son mandat d’élargissement alors qu’il était malade, a été réprimandée par son supérieur, le procureur général de la République, Léonard Manirakiza, mais qu’il semblait qu’aucune autre mesure n’ait été prise à son encontre. En mi-novembre, 8 autres personnes acquittées dans la même affaire croupissaient encore dans la prison centrale de Gitega.
La CNIDH qui manque d’indépendance
Dans son rapport sorti mardi, l’Initiative pour les Droits Humains au Burundi juge la CNIDH réticente et inefficace. Elle indique, par exemple, qu’
un directeur de prison a déclaré que la CNIDH avait enquêté sur plusieurs cas de prisonniers détenus illégalement dans sa prison, mais qu’elle semblait réticente à agir en raison du caractère sensible de ces affaires. Pour la même raison, un prisonnier accusé d’être un opposant au gouvernement a décidé de ne pas s’adresser à la CNIDH : « Je n’ai aucune confiance dans la CNIDH car elle collabore avec le gouvernement. C’est un outil du gouvernement. Il n’y a aucune réponse adéquate que la CNIDH puisse donner si elle plaide en ma faveur. Je suis accusé d’être un opposant farouche au gouvernement. »
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« A notre avis, la CNIDH manque d’indépendance. Cela nous semble très clair notamment dans ses rapports, ses publications où elle a tendance, vraiment, à minimiser ou même passer sous silence certaines violations graves des droits humains. » déclare Carina Tertsakian au cours de notre interview exclusive.
Des prisonniers exclus arbitrairement de la grâce présidentielle
Sur plus de 60 membres du parti MSD arrêtés à leur permanence nationale le 8 mars 2014 pour participation à un mouvement insurrectionnel, au moins quatre restent en prison alors leurs pairs ont été libérés suite à la grâce présidentielle de 2017. Selon l’IDHB, la ministre de la justice avait promis que tous les accusés dans l’affaire seraient grâciés. Mais, Daniel Rugonumugabo, Clément Hatungimana, Gérard Nahimana et Jean de Dieu Bigirimana croupissent toujours en prison. L’IDHB signale que les prisonniers ont écrit à la commission chargée des grâces présidentielles mais n’ont pas reçu de réponse.
Est-ce que le président Ndayishimiye est incapable de redresser la situation ou manque de volonté ?
C’est une autre question posée à Carina Tertsakian de l’IDHB lors de l’interview exclusive accordée à l’agence de presse Le Mandat. « Quelque part, c’est par manque de volonté, c’est sûr. » Répond la chercheuse tout en expliquant qu’en tant que chef du conseil supérieur de la magistrature, le président de la République du Burundi Evariste Ndayishimiye a la responsabilité de garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire.
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Lors de la sortie de son rapport, l’Initiative pour les Droits Humains au Burundi a publié aussi une vidéo dans laquelle certains anciens détenus comme Tony Germain Nkina, Germain Rukuki et Nestor Nibitanga évoquent ces formes d’injustice.
Sur la dernière page du rapport de l’Initiative pour les Droits Humains au Burundi, est annexée une liste d’une vingtaine de cas de « prisonniers détenus illégalement » qu’elle dit avoir documentés.
L’IDHB souligne que la liste n’inclut pas les prisonniers souhaitant rester anonymes ni les cas qui n’ont pas de connotation politique.
Selon Carina Tertsakian lors de notre interview, cette liste des noms des prisonniers illégalement détenus publiée dans le rapport de l’IDHB n’est qu’un échantillon et c’est le devoir des autorités burundaises de faire libérer tous les prisonniers qui se trouvent dans la même situation.
Nous lui avons, tout d’abord, demandé pourquoi l’IDHB dit que la justice burundaise ignore la loi alors que le rapport montre que certains procureurs, par exemple, bafouent sciemment la loi.