Un leader des jeunes burundais : ‘’Il n’y a pas de révolution sans conscience.’’

Membre fondateur et président du Centre pour le Renforcement de l’Education et du Développement de la Jeunesse, CREDEJ en sigle, Arsène ARAKAZA dirige également le Mouvement International de la Jeunesse Burundaise, MIJB en sigle. 
Lorsque la crise de 2015 a éclaté, Arsène ARAKAZA était étudiant à l’Université du Burundi.


Monsieur Arsène ARAKAZA, vous avez dirigé des révoltes, des résistances à l’université du Burundi avant 2015. Vous avez également contesté le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA en 2015 mais à la même période de l’année, vous avez été contraint de fuir le pays. Avez-vous des remords aujourd’hui, quatre ans après ?  

C’est vrai, j’ai participé dans des mouvements de revendications avant même le troisième mandat
surtout dans des mouvements des étudiants de l’Université du Burundi qui réclamaient des droits académiques. En 2015, j’ai décidé personnellement de rejoindre le mouvement de contestation du 3ème mandat parce que je trouvais que c’était une obligation, en tant que jeune burundais, d’accomplir mon engagement citoyen. 
Je trouvais que c’était noble de défendre surtout la constitution et l’accord d’Arusha qui venaient d’être violés par le parti CNDD-FDD et Pierre Nkurunziza en personne.

A LIRE AUSSI  QUE LE MANDAT DE NKURUNZIZA EXPIRE OU PAS, LE SYSTEME CNDD-FDD EST TOUJOURS LA 

J’ai été marqué par une solidarité sans faille de la jeunesse burundaise. Moi, j’étais au campus Mutanga. Chaque fois, je me souviens que dès l’annonce de la candidature de Pierre Nkurunziza, il y avait un changement impressionnant au sein de l’université du Burundi. Il y avait vraiment un dynamisme inhabituel. Que ça soit dans les campus que ça soit à l’extérieur, il y avait un échange étroit entre les jeunes qui discutaient sans doute comment participer sans peur dans le mouvement de contestation en date du 26 avril 2015. J’ai été vraiment marqué par cet engagement malgré des intimidations de la part du service national de renseignement et des imbonerakure qui étaient des étudiants de l’université du Burundi. 
Durant cette période, j’étais un étudiant externe, mon domicile était à Musaga. J’ai alors participé dans les manifestations à Musaga avec les autres jeunes venant du sud  de la capitale ainsi que des jeunes venant de la province de Bujumbura rural. Il y avait vraiment une solidarité des jeunes de toute tendance. C’est mon constat, c’est mon constat. Il y avait une participation que je dirais inclusive parce que même l’idéologie, qui était véhiculée par le parti au pouvoir comme quoi les manifestations étaient organisées par des personnes de la même ethnie, a définitivement échoué parce que par exemple les jeunes du parti FNL de Bujumbura rural avaient rejoint le mouvement avec une vivacité, avec un engagement extraordinaire. Ce qui a brisé cette idéologie de Pierre Nkurunziza qui prétendait que c’étaient seulement des jeunes Tutsi de la capitale qui voulaient perturber l’ordre national.

Mais, le régime que vous avez combattu est toujours là. Avez-vous des regrets ?

Personnellement, je n’ai rien à regretter même si l’objectif de démanteler le système dictatorial qui règne au Burundi n’est pas encore atteint. Il faut que tout le monde constate que nous sommes dans un parcours. Nous devons poursuivre ce que nous avons commencé malgré les contraintes de la vie. Nous avons l’obligation de rendre hommage à toutes les victimes du troisième mandat. 
C’est très important qu’on réclame la justice contre les auteurs et les commanditaires des crimes contre l’humanité qui continuent d’être orchestrés par les agents du Service national de renseignement et quelques hauts dignitaires de la République du Burundi. Aujourd’hui, l’arme du pouvoir CNDD-FDD consiste à diviser les jeunes, c’est la mise en avant des propagandes identitaires Hutu-Tutsi, c’est l’arme qui vise à créer un parti unique alors que nous avons déjà entamé le processus démocratique. C’est pourquoi les jeunes burundais devraient essayer de ne pas tomber dans le piège lié aux divisions ethniques et régionales parce qu’avec la solidarité, avec l’engagement, je ne doute pas que nous allons obtenir ce que nous avons réclamé depuis 2015.

Mais certains estiment qu’il est très difficile voire même impossible d’obtenir ce que vous voulez étant donné que vous n’êtes plus dans le pays !

Vous savez, en 2016, juste une année après le début des manifestations, la jeunesse burundaise qui était en exil a décidé de créer le Mouvement International de la Jeunesse Burundaise, MIJB en sigle, afin de continuer la lutte contre la tyrannie de Bujumbura. Avec ce mouvement, nous avons créé des cellules de réflexion pour continuer le même combat pour la dignité et la liberté. Aujourd’hui, je reste dans ce combat, je reste en communication avec les autres jeunes burundais parce que vous savez, le combat c’est une longue marche et l’essentiel c’est de pouvoir résister. 
Aujourd’hui avec le MIJB on est entrain de développer la résilience, on est entrain de restructurer notre force.

Peut-être qu’on aura l’occasion de parler de votre mouvement mais nous sommes déjà en juillet et le président de la République a annoncé qu’il ne sera pas candidat aux présidentielles de l’année prochaine. Quel est le sens de la poursuite de votre lutte ?

Aujourd’hui, le problème n’est pas Nkurunziza en tant qu’individu. Nkurunziza a déjà construit un système qui tue, un système qui viole la constitution. Il a déjà créé un système qui verrouille l’espace politique, un système qui enseigne la haine. C’est pourquoi, je suis personnellement convaincu qu’il n’y aura aucun développement positif de la situation même si Nkurunziza ne se représente pas en 2020. Vous savez, il y a beaucoup de Nkurunziza dans le système CNDD-FDD. Il y a même pire que Nkurunziza. Aujourd’hui, si Nkurunziza cède le fauteuil présidentiel à son ami, sa femme ou à son cousin, il va demeurer Nkurunziza l’éternel guide suprême. Donc, ce sont des stratégies politiques pour tromper l’opinion nationale et internationale. Mais, je crois que des jeunes patriotes avisés et engagés ne verront pas ça comme un changement positif pour abandonner le combat pour la liberté et la dignité. 
Non, nous allons continuer le combat jusqu’à ce que ce système CNDD-FDD parte.

A LIRE AUSSI   »SI LES BURUNDAIS VEULENT CROIRE QU’IL EST NE AVEC LES SEMENCES, C’EST LEUR DROIT EN FAIT »

Que pensez-vous de la poursuite du dialogue entre, justement, ce système CNDD-FDD que vous évoquez et l’autre partie ?

Nous sommes pour le dialogue mais malheureusement le dialogue a échoué. Depuis 2015, on n’a jamais senti une volonté de la part de la communauté est-africaine de résoudre la crise burundaise. Qu’elle soit organisée par la Communauté Est-Africaine, l’Union Africaine ou l’Organisation des Nations Unies, nous voulons un dialogue inclusif qui n’accorde pas l’immunité aux responsables des crimes contre l’humanité parce qu’un tel dialogue sera rejeté par la jeunesse burundaise. Nous ne voulons pas un dialogue qui va nous contraindre de rester dans ce cycle d’immunité qui engendre l’impunité et l’injustice au Burundi. Mais, comme jusqu’ici nous n’avons aucun espoir qu’un vrai dialogue va avoir lieu, nous sommes entrain de réfléchir sur les activités de solidarité à mener pour développer la résilience parce que nous sommes au courant qu’aujourd’hui seule la résilience libère. Vous savez, il n’y a pas une révolution, il n’y a pas une résistance sans conscience. 
Nous sommes entrain de développer cette conscience au sein de la jeunesse burundaise.